Evariste Galois ( 25 octobre 1811 [Bourg-la-Reine] - 31 mai 1832 [Paris] )
La vie d'Évariste Galois est sans doute la plus célèbre, fascinante et commentée des vies de mathématiciens. Elle est même devenue mythique, au point qu'il est parfois difficile de démêler le mythe et la réalité.
Évariste
Galois est né à Bourg-la-Reine le 25 octobre 1811, d'un
père maire libéral de la commune. Sa mère, Adélaïde
Marie Demante, fille de magistrat, s'occupe de son éducation jusqu'à
12 ans, et le nourrit de culture latine. Il entre à 12 ans au lycée
Louis-le-Grand, où il suit une scolarité d'abord honorable,
avant de marquer assez vite des signes de lassitude. Dès 1827-1828,
la fureur des mathématiques domine. Galois lit Legendre
(Eléments de géométrie), Lagrange
(textes sur la résolution des équations), Euler,
Gauss, Jacobi. Il obtient
le 1er prix au Concours Général de mathématiques,
mais échoue à l'entrée à Polytechnique.
Il entre en octobre 1828 en spéciales à Louis-le-Grand. Le professeur, Mr Richard, admire le génie mathématique de son élève et garde les copies qu'il confiera à un autre de ses élèves : Charles Hermite. C'est l'époque où il publie son premier article dans les Annales mathématiques de Joseph Gergonne (il démontre un théorème sur les fractions continues périodiques). Il rédige aussi un premier mémoire sur la théorie des équations ; envoyé à l'Académie des Sciences, il sera "perdu" par Cauchy.
Les épreuves et les drames commencent alors. Le 2 juillet 1829, son père se suicide à la suite d'une cabale montée contre lui par le curé de Bourg-la-Reine. Quelques jours plus tard, il échoue au concours d'entrée à Polytechnique, à la stupéfaction de Mr Richard. On raconte qu'il a jeté le chiffon à effacer la craie à la tête de son examinateur devant la stupidité des questions posées.
Sur les conseils de son professeur, Galois entre à l'École Préparatoire, future École Normale. Il rédige le résultat de ses recherches dans un mémoire - Conditions pour qu'une équation soit résoluble par radicaux - afin de concourir au grand prix de mathématiques de l'Académie des Sciences. Fourier emporte le manuscrit chez lui et meurt peu après : le manuscrit est perdu, et le grand prix est décerné à Abel (mort l'année précédente), et à Jacobi.
À partir de 1830, les vies mathématique et politique de Galois vont s'entrecroiser. En 1824, Charles X a succédé à Louis XVIII. Le ministre Villèle accumule les mesures impopulaires, parmi lesquelles le projet de loi sur la presse et la dissolution de la garde nationale, créée en 1789, et coupable d'avoir manifestée contre le gouvernement. Sous le ministère de Polignac (1829-1830), Charles X signe quatre ordonnances (suppression de la liberté de la presse, dissolution de la chambre, modification de la loi électorale, fixation de la date de nouvelles élections) qui violent la charte et provoquent immédiatement trois journées de Révolution (les trois Glorieuses) les 27, 28 et 29 juillet. Galois est consigné dans son école, et il ne peut participer à l'action contrairement aux polytechniciens, qui ont fait le mur et resteront dans l'histoire. A la suite de ces événements, le duc d'Orléans, habilement poussé en avant par ses partisans, devient roi sous le nom de Louis-Philippe. Si celui-ci prête serment à la Charte, il reste pour les républicains un usurpateur, dont la montée sur le trône est entachée d'illégalités. Devant l'évolution conservatrice de son gouvernement, ils multiplient contre lui les sociétés secrètes.
Galois, républicain actif et intrépide, adhère le 10 novembre 1830 à l'une d'entre elles, la Société des Amis du Peuple, présidée par Raspail. Une violente polémique nait alors entre Galois et le directeur de L'École Préparatoire. Opportuniste, ce dernier met ses élèves à la disposition du gouvernement de Louis-Philippe, et en profite pour durcir la discipline de l'École. Galois est excédé et va faire publier deux longues lettres dans la Gazette des écoles. Dans la première, datée du 5 décembre 1830, il tourne son directeur en dérision. Dans la seconde, datée du 2 janvier 1831, titrée Sur l'Enseignement des Sciences, il dénonce la médiocrité de l'enseignement donné aux étudiants. Par une décision exceptionnelle, Galois est renvoyé début janvier. Sans ressources, Galois ouvre le 13 janvier un cours d'algèbre supérieure chez le libraire Caillot, au 5 rue de la Sorbonne. Suivant les conseils de Denis Poisson, il présente le 17 janvier à l'Académie des Sciences une nouvelle version de son mémoire perdu. Ce sont Poisson et Lacroix qui sont chargés de l'étudier, mais quand ils rendent leur rapport, le 4 juillet, c'est un avis négatif qu'ils transmettent, jugeant le mémoire incompréhensible.
Pendant ce temps, les tensions politiques ne se sont pas apaisées. Louis-Philippe parvient à réformer la Garde Nationale, qu'il met désormais à son service. Le 9 mai 1831, lors d'un banquet au restaurant Les Vendanges de Bourgogne, Galois porte un toast "A Louis-Philippe", un couteau à la main, ce qui provoque un tollé général dans la salle (Galois précisera que le texte complet est "A Louis-Philippe, s'il trahit", et que seuls ses voisins ont vu le couteau et entendu la deuxième partie de son propos). Arrêté le lendemain, détenu à Sainte-Pélagie, il est jugé et acquitté le 15 juin. Ce n'est que partie remise, car le 14 juillet, à la tête d'un groupe de manifestants, il est arrêté pour port illégal de l'uniforme de la Garde Nationale, et condamné.
En prison, il continuera ses travaux. Libéré en 1832, il s'éprend en mai 1832 d'une femme, Stéphanie D. (Dumotel?), avec qui il rompt le 14 mai. On ne sait trop pourquoi, mais un duel semble en résulter quelques jours plus tard ("Je meurs pour une infâme coquette"). La nuit précédente, le 29 mai, Galois rassemble ses dernières découvertes dans une splendide lettre adressée à son ami Auguste Chevalier :
De cette lettre naquit la légende selon laquelle Galois fit ses découvertes majeures en une seule nuit, pris par la fièvre de la mort. La matinée du 30 mai, Galois, abandonné, grièvement blessé, est relevé par un paysan et conduit à l'Hôpital Cochin. Il meurt de péritonite le 31 mai 1832 dans les bras de son jeune frère Alfred. Il est enterré dans la fosse commune du cimetière de Montparnasse. Ses amis républicains préparent un soulèvement à l'occasion de ses obsèques. Reporté au 5 juin, il conduira au massacre du cloître de Saint-Méry.
Les travaux de Galois sont redécouverts une dizaine d'années plus tard par Liouville, qui annonce à l'Académie des Sciences, le 10 novembre 1830, qu'il vient de trouver dans les papiers de Galois une solution aussi exacte que profonde au problème de la résolubilité par radicaux. Ce n'est qu'en octobre 1846 qu'il publie les textes sans y joindre de commentaires. Les travaux de Kronecker, Dedekind, Cayley conduits à la suite de cette publication conduiront à l'algèbre moderne.
En langage moderne, Galois a établi une correspondance entre deux objets mathématiques distincts. Si $P$ est un polynôme, le corps de décomposition de ce polynôme est le corps engendré par l'ensemble des racines de ce polynôme (par exemple, si $P(X)=X^2+1$, considéré sur $\mathbb Q$, ce corps est $\mathbb Q[i]$). La correspondance de Galois est une application entre corps intermédiaires et sous-groupes. Les corps intermédiaires sont ceux compris entre le corps de base et le corps de décomposition du polynôme considéré ; et les sous-groupes sont ceux du groupe de Galois du polynôme, qui est lui-même un sous-groupe du groupe des permutations sur $n$ éléments ($n$ étant le nombre de racines). Une condition sur le groupe de Galois du polynôme (être "résoluble") donne une condition sur la résolubilité "par radicaux" de l'équation induite par ce polynôme.