Construction de l'intégrale de Lebesgue
Soit $X$ un ensemble. Un ensemble $\mathcal T$ de parties de $X$ est appelée une tribu (on dit encore une $\sigma$-algèbre) si :
- $X\in\mathcal T$ ;
- $\mathcal T$ est stable par passage au complémentaire ;
- $\mathcal T$ est stable par union dénombrable.
$(X,\mathcal T)$ s'appelle alors un espace mesurable.
Les conditions 2 et 3 entraînent que $\mathcal T$ est stable par intersection dénombrable. Les parties qui sont éléments d'une tribu sont les parties que l'on va savoir "mesurer", c'est-à-dire déterminer la longueur, ou l'aire ... Les éléments d'une tribu sont ainsi appelées parties mesurables.
Il existe un théorème général pour construire des tribus :
Prenons le cas de $\mathbb R$. On souhaite bien sûr mesurer tous les intervalles $[a,b]$ (la mesure de $[a,b]$ étant $b-a$). On appellera tribu borélienne de $\mathbb R$, qu'on notera $\mathcal B$, la plus petite tribu sur $\mathbb R$ contenant tous les intervalles. On montre sans difficulté que $\mathcal B$ est aussi la tribu engendrée par les ouverts. Les éléments de cette tribu seront appelés les boréliens. Cet exemple de $\mathbb R$ est généralisable à tout espace topologique $X$. On appellera tribu borélienne de $X$ la plus petite tribu contenant tous les ouverts.
Il est difficile de décrire tous les boréliens de $\mathbb R$. En fait, ce qui est vraiment difficile, c'est de construire un ensemble qui n'est pas un borélien. On démontre que l'existence d'une partie de $\mathbb R$ qui n'est pas un borélien est équivalente à l'axiome du choix.
Nous considérons $(X_1,\mathcal T_1)$ et $(X_2,\mathcal T_2)$ deux espaces mesurables. Une fonction $f$ de $(X_1,\mathcal T_1)$ dans $(X_2,\mathcal T_2)$ sera dite mesurable si pour tout $A\in\mathcal T_2$, $f^{-1}(A)\in\mathcal T_1$.
Une chose à retenir, qu'on ne lit pas forcément dans la définition, c'est que la plupart des fonctions sont mesurables. Ainsi, si $\mathcal T_1$ (resp. $\mathcal T_2$) est la tribu des boréliens de $X_1$ (resp. $X_2$), toute fonction continue de $X_1$ dans $X_2$ est mesurable, et il y en a beaucoup d'autres !
Une classe de fonctions mesurables va être particulièrement importante, c'est celle des fonctions étagées, dont l'intégrale sera particulièrement facile à calculer :
Ainsi, toute fonction mesurable étagée s'écrit $$f=a_1\mathbf 1_{A_1}+\dots+a_n \mathbf 1_{A_n}$$ où :
- $a_i$ est un réel positif,
- $A_i$ est une partie mesurable de $(X,\mathcal T)$,
- $\mathbf 1_A$ est la fonction indicatrice de $A$.
Cette classe des fonctions étagées généralise, dans le cas où $X=\mathbb R$, celles des fonctions en escalier, où on aurait supposé en plus que chaque $A_i$ est un intervalle de $\mathbb R$. Les fonctions étagées vont être capables d'approcher toutes les fonctions mesurables positives, au sens suivant :
- $0\leq s_1\leq s_2\leq\dots\leq s_n\leq f$;
- Pour tout $x\in X$, $s_n(x)$ tend vers $f(x)$.
Si $(X,\mathcal T)$ est un espace mesurable, une mesure (positive) $m$ sur $X$ est une application de $\mathcal T$ dans $ [0,+\infty]$ telle que $m(\varnothing)=0$ et $$m\left(\bigcup_{i=1}^{+\infty}A_i\right)=\sum_{i=1}^{+\infty}m(A_i)$$ où les $(A_i)$ sont n'importe quelle famille dénombrable d'éléments disjoints de $\mathcal T$ (cette propriété s'appelle la propriété d'additivité dénombrable). $(X,\mathcal T,m)$ devient un espace mesuré (alors que $(X,\mathcal T)$ était mesurable !)
Une mesure est particulièrement importante, c'est la mesure de Lebesgue. Elle est "définie" sur les boréliens de $\mathbb R$ par $m([a,b])=b-a$. Précisément, c'est la seule mesure sur les boréliens de $\mathbb R$, invariante par translation (c'est-à-dire que $m(a+B)=m(B)$ pour tout borélien $B$ et tout réel $a$), et telle que pour tout segment $m([a,b])=b-a$.
Soit $(X,\mathcal T,m)$ un espace mesuré. Le plus simple est de de définir l'intégrale d'une fonction étagée $s=a_1\mathbf 1_{A_1}+\dots+a_n \mathbf 1_{A_n}$, en posant : $$\int_X sdm=\sum_{i=1}^n a_i m(A_i).$$
Remarquons que dans le cas où $X=\mathbb R$, où $m$ est la mesure de Lebesgue, et où $s$ est une fonction en escalier, cette définition coïncide avec l'intégrale classique (au sens de Riemann). Remarquons aussi que cette intégrale peut très bien valoir $+\infty$, si un des $m(A)$ vaut cette valeur. Passons désormais à toutes les fonctions mesurables positives. Soit $f$ une telle fonction. Nous définissons $$\int_Xfdm=\sup_s \int_X sdm,$$
où le sup est pris sur toutes les fonctions étagées $s$ positives, et plus petites que $f$. Remarquons que cela est cohérent avec le théorème d'approximation des fonctions positives par des fonctions étagées.
Il ne reste plus qu'à définir l'intégrale d'une fonction quelconque. Nous posons : $$\mathcal L^1(m)=\left\{f:(X,\mathcal T)\to\mathbb R\textrm{ mesurable}:\ \int_X |f|dm<+\infty\right\}.$$
Une fonction $f$ de $\mathcal L^1(m)$ sera dite intégrable. Soit $f$ dans $\mathcal L^1(m)$. On décompose $f$ en $f=f^+-f^-$, où $f^+(x)=f(x)$ quand $f(x)>0$, $f^+(x)=0$ sinon, et $f^-(x)=-f(x)$ si $f(x)<0$, $f^{-}(x)=0$ sinon. On pose enfin $$\int_X fdm=\int_X f^+dm-\int_X f^-dm.$$
Il n'est pas plus difficile d'intégrer les fonctions à valeurs complexes, en séparant partie réelle et partie imaginaire. On peut alors sans trop de difficultés déduire les théorèmes de convergence classiques : convergence monotone, convergence dominée, lemme de Fatou.
